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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 23:34

 

 

Panama, l’écluse infernale…..

  

 

Belle écluse que celle de Panama où les passeurs doivent convoyer à travers un chenal étroit les cargos qui passent d’un continent à l’autre.

 

Fichier:Panama Canal Gatun Locks.jpg

 

A Lorp, il en allait tout autrement. Avant la construction du quai de chargement, seuls les camions remorques pénétraient dans la noble entreprise des papiers fins et soyeux  et passaient sous le hangar.

  Pourlande--prise-des-consignes.jpg

  L'arrivée à Pourlande, la difficulté est cachée ....

Quand la machine à été modifiée et que la production augmentait c’était au tour des semi remorques, familiers désormais dans le paysage routier, de venir engloutir leurs gros chargements de papier support carbone vendu aux quatre coins de l’hexagone ; Bagnolet, Apprieu, Malesherbes, Sorel-Moussel, Gundershoffen, Blois, Saint-Malo, Louviers et aussi Milan, Rome, Athènes, Barcelone, Barmstedt, Wulfrath, Worms. Il fallait également ramener pâte à papier, vieux papiers, adjuvants pour la fabrication. La modification du hangar s’imposait car les gros maxi codes de l’époque pour une longueur hors tout de 13.50m , ne pouvaient passer. L’équipe hors pair de René s’était employée à démolir le 4 ème poteau et à placer une grosse poutre en treillis métallique, ce qui agrandissait considérablement le virage. Les premières semi passaient à l’aise, qu’elles soient à angle arrondi ou carré. Les trois essieux dits tridem ne posaient pas de gros problèmes. Le passage dans le “porche fatidique ”devait s’effectuer à très petite vitesse exactement comme la péniche dans l’écluse.

Avec l’arrivée, en 1990, des fameuses Taut liner de 13.60m de longueur la donne changeait complètement. C’était l’effroi général. A l’approche du tunnel l’énorme convoi, plus haut (4.10m), beaucoup plus long que les anciens modèles bouchait complètement l’horizon et presque tous disaient, c’est impossible, ca ne peut pas passer. Pourtant vint quelqu’un qui ne le savait pas et il le fit.

 

L-entee-du-labyrinthe-jpg L'entrée du labyrinthe, beaucoup prenaient peur, d'autres criaient ou pleuraient....

Le premier passeur à trouver la solution, ce fut “le brigadier, Emile”, cariste hors pair et à l’œil exacerbé. Beaucoup de chauffeurs avaient tendance à serrer le mur du côté gauche de trop près mais à la prise du virage très serré l’arrière de la remorque venait racler douloureusement la muraille tellement le porte à faux de ces gigantesques barges est grand. Se tenir trop loin du mur ce sont à coup sur les essieux qui ne passent pas du côté droit. Alors ?

Suivre le mur à quelques 40 cm, faire raser le pare-choc du tracteur dans le virage, après cette boucle effrayante esquiver le poteau en décollant fortement le tracteur vers la droite mais sur 1.5m seulement, sinon l’angle gauche de la remorque vient toucher le pilier (gare au déchirement de la bâche), rabattre le tracteur vers la gauche. Le tout sans donner de violent coup de frein pour éviter le tangage. Après ces quelques instants de forte tension, de crispation, de transpiration, c’est gagné, le détroit d’Ormuz est franchi. Quel soulagement !!! Là- bas, à la SNCF les experts des gares de triage n’en reviennent pas, presque ils en seraient jaloux.

Jamais aucun chauffeur ne s’aventurait seul dans l’isthme. Aussi adroit eut-il été, il avait de fortes chances de coincer son attelage. Reculer dans une souricière pareille, impensable et puis quel martyre pour l’embrayage !

La technique avait été vite rodée et les passeurs agréés se chargeaient de la besogne. Emile, Père, Henri, Guy, René, Joseph et Marko n’avaient aucune appréhension. Les conducteurs, si, et nombreux d’entre eux. Un  de l’écurie de Mocellin refusait systématiquement de venir. Il venait en marche arrière de Pourlande, restait à l’entrée du détroit et la remorque était déchargée par l’arrière en tirant les ballots de pâte à papier. C’était bien là la seule exception. Marcel avec son turbo leader de chez Lemasson tempêtait lorsqu’il fallait aller charger en“ bas”. Oh p….. s’exclamait-il, je ne vais pas y arriver… Vous ne pouvez pas le démolir ce hangar ? 

Vous n’y pensez pas, où serait le charme alors !!

Tout le pays en parlait de cette manœuvre. Dans les restaurants routiers, les racontars allaient bon train : tu vas chez Bergès ? S’ils t’envoient à l’usine d’en bas, ne passe pas seul, fais toi escorter par le passeur sinon tu es perdu. Si par hasard le célèbre La Fayette des transports Loubet était dans la tablée, il en remettait une couche. Fanfaron de son état il avait toujours une histoire à raconter et surtout  tendance à enjoliver les faits. Cependant très vaillant était-il et son matériel était parfaitement mené.

Marko avait trouvé une méthode. Lorsque le camion se présentait à Pourlande, il disait au chauffeur : vous me suivez derrière le Vespa (Piaggio 200) puis au bâtiment du fond que vous voyez à 800m, je passe à pied, la roue gauche du tracteur doit être exactement dans mes pas et vous ne quittez pas ma trajectoire. En arrivant sur place, les yeux s’écarquillaient et plus d’un criait ; vous êtes fou, ca ne peut pas passer ! Les sages baissaient la vitre, comme les conducteurs des motrices à l’approche, les inquiets descendaient reconnaître l’épreuve. Le guide, imperturbable répliquait ; ca passera si vous faites exactement ce que je vous dis, sinon c’est foutu et il faudra démonter votre attelage pièce par pièce comme les chenillettes d’André Citroën dans la croisière jaune.

Pourtant un beau samedi d’avril 1994, une gente demoiselle des transports Lompech, amenant une cargaison de sulfate d’alumine de Brno en Moravie, prise de panique ne voulut pas écouter. Marko eut beau tempêter, s’époumoner, crier, gesticuler, rien n’y fit. Peu habituée à une manœuvre aussi périlleuse la conductrice fit beaucoup souffrir son Volvo FH 10. A force d’avancer et de reculer par petites passes dans le virage, l’embrayage finit par chauffer et chose inouïe, le tracteur était coincé !!!

-maintenant écoutez moi et arrêtez ce massacre.  Vous n’avez pas voulu obéir et tout est planté ! Comment voyez-vous la chose ?

-je ne sais plus que faire.

- rassurez-vous, il y a une solution mais avec votre entêtement nous allons perdre la matinée. Nous allons décharger sur le côté, heureusement que le Clark passe, puis après avec le tracteur Renault je ferai riper la semi par l’arrière et vous passerez le cap. La vous m’obéirez sans rechigner et vous connaîtrez une grande victoire. Vous aurez aussi appris que du haut de ces murs deux siècles vous contemplent et que vous leur devez respect. Vers midi tout s’est passé comme prévu. Le Volvo à passé le porche en douceur, la conductrice très émue et tremblante n’en revenait pas et prit un café chez la sœur de Marko. Et pour sortir ? Ca va tout seul, c’est beaucoup plus facile. Personne n’a jamais compris pourquoi, sans doute la magie de la géométrie des essieux….

Les chauffeurs des grands bleus étaient les meilleurs. Chevaliers du volant sans peur et sans reproche, ils n’avaient pas eu meilleure école que celle de leurs maîtres Robert, Alain et Bernard. Qui aurait pu penser à l’arrivée de leurs immenses barges en 1990 que la partie serait gagnée ? Habitués certes et rompus à cet exercice spectaculaire ils ne touchaient jamais. Les Thierry, Jean-Claude, Serge, Cédric, Pierre, Jean-Luc, Joël, Christian franchissaient le goulet avec une allégresse naturelle. Ils faisaient corps avec leur magnifique tracteur et dans ces instants sublimes même le bruit de leurs fabuleux Diesel était éclipsé par celui de l’air qui s’échappait subrepticement des freins poussés à leur paroxysme de délicatesse. Pas d’à coups, pas d’à coups était le maître mot !!!! 

De temps en temps il y avait quelque autre passe difficile. Un maxi code avait été affrété par les Grands Bleus pour Athènes et stupeur c’était une semi frigo deux essieux dits Européens très reculés vers l’arrière de la remorque et de plus, elle, plus large que la normale à 2.55m.  Hé bien ce fut un passage millimétrique. Le gars était bon, très bon mais ce fut juste. Quel sang-froid ! Les vieux papiers de Saillat étaient chargés en vrac dans la remorque et faisaient souvent des bosses sur le côté. On eut dit une semi gravide. Ce jour là il s’en fallut de peu que la brosse boule qui faisait excroissance sur le coté arrière droit ne soit stoppée par le gros pilier en pierre. Il y avait seulement quelques millimètres de marge, mais finalement le chargement atteignit le quai.

Yves, lui, avait voulu faire le mariole. A vide il croyait pouvoir passer sa barge à une vitesse plus élevée que d’habitude. Que nenni ! L’angle de la remorque touchait le mur, plus moyen de bouger, sans risquer de tout démolir. Qu’a fait le fougueux routier ? Dételer, faire des manœuvres pour récupérer son attelage sans rien casser mais si René avait vu ça, pour sur de oreilles auraient été étirées !!

Et l’Iveco qui sortant trop vite du hangar faillit se renverser en tournant à droite dans la cour pour y être vidé ? Marko épouvanté, de peur d’être enseveli sous le chargement qui aurait pu verser, plongea sous les béquilles pour ressortir de l’autre côté. Finalement tout rentra dans l’ordre. Aujourd’hui le site a repris un peu de vie. Si les convois sont beaucoup plus faciles à manœuvrer, ils n’en sont pas moins pittoresques : ce sont ceux d’Autrefois le Couserans et de la Tracpaco. Ici le bâtiment est en bonne voie d’être restauré, là c’est la pièce où sont tranquillement abrités de petits trésors.

Notons que les baroudeurs des écuries Meric avaient été les initiateurs avec les premiers semi et que leur mérité était grand car le passage était extrêmement difficile et ils opéraient la plupart du temps seuls. Gloire à Jeanot, Emile,Francis, René, Aimé, Yves, Samuel, Roger, Jean-Claude, Etienne, Antoine, Christian, Henry, Mickey père et fils, Georges, Pierrot. Il n’était que d’entendre le grondement  fabuleux des énormes Diesel à la sortie du hangar après avoir engrangé leur lourde cargaison de papiers fin et soyeux pour de lointaines destinations. Les murs propageraient encore longtemps l’écho des splendides Henschel, Mercedes, Berliet, Unic, Saviem, Saurer, Daf, Renault, Iveco et des AEC mythiques.

Les éclusiers, eux, avaient rempli leur mission….

 

 

Attention--les-poteaux-en-haut-a-gauche-jpg  Attention aux poteaux en haut à gauche!!!

 

 

La-sortie-du-goulet-jpg 

                        La sortie du goulet, la passe est critique...

 

 

 

Fin-de-l-ecluse-jpg 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fin de l'écluse, les sourires revenaient...

 

 

Une-precieuse-salle-secrete-jpg

Une précieuse salle secrète : vous avez vu le Renault, au fond?

Pour sortir du garage, aussi difficile que pour franchir le hangar!!!

 

 

 

                                                      _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _

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