La libération du grand Farmall
Les préparatifs s'étant déroulés selon les plans prévus, une énorme logistique avait été mise en place pour l'embarquement du 756.
Qu'on en juge:
Le matériel lourd venait de Peyssies et de Longages. Eric menait le FH 520* Volvo porteur poly benne Guima, attelé de la remorque 2 essieux *ACTM (une marque célèbre en son temps) sur laquelle était chargée le Merlo. En copilote, Baptiste. Francis, frère de Michel, conduisait son *Iveco Daily attelé de la petite remorque chargée de la mini pelle *Kubota. A ses côtés, Damien son neveu. Michel avec le fourgon d'intendance Daily emmenait Valentin et Guillaume. Marcel arrivait sur les lieux depuis Escoulis avec sa *Ford “Escort”! Cet impressionnant convoi accostait aux environs de 19 heures. Le petit reporter arrivait de Saint-Girons avec sa *Goelette à 19h45 avec Hugo et Benjamin, précédé d'André avec sa *“Citron” (partner) et toutes les clés dans la soute.
Nu doute que le voisinage avait du entendre une telle arrivée.
Quelques coups de fil le jeudi avaient informé les fermes alentour qu'un événement inédit se préparait pour le vendredi soir. On ne sort pas tous les jours un Farmall américain de sa prison française.
D'emblée, mécaniciens, terrassiers, chauffeurs, photographe entamaient le chantier d'arrache-pied.
Un impressionnant compte à rebours était engagé. Objectif; finir avant la nuit, sans rien casser ni de la bâtisse, ni des équipiers, ni du mastodonte précieux et au moins ne pas le renverser dans une fausse manœuvre. Voir le grand Rouge versé dans une posture fâcheuse eut été une grande déveine.
La Kubota menée avec dextérité par Francis nettoie vite l'entrée de ce qui fut la remise; tuiles, planches et poutres sont évacuées en bordure du bâtiment. Il y en avait plus que ne le laissait imaginer le premier aspect. L'espace est rapidement égalisé. Les plantes invasives n'ont pas tenu tête longtemps.
Premier remorquage.
Pendant qu'Éric assisté d'un manœuvre décharge le Merlo, il est décidé qu'une sangle attachée à l'arrière train du tracteur devrait faire l'affaire. Francis tend avec douceur, le gros Diesel recule! (on avait vu que lors de la dernière visite il semblait très souple sur ses roues). Le pelle n' a aucun mal à le tirer lentement. C'est un moment d'intense émotion, depuis 30 ans qu'il gisait là. Six bonhommes se mettent aux roues avant et arrivent à les braquer(lui non, reste stoïque et pas du tout braqué). André intime les consignes; passez comme ci, passez comme ça; il faut prendre par le support de la barre plate.... C'est la libération, le tracteur est hors du bâtiment. Quelle joie, quel moment exceptionnel, un immense espoir enfin concrétisé! Baptiste précise qu'il ne faut enlever aucune végétation de l'appareil pour faire à Longages une reconstitution in situ.
Levez, montez.
Maintenant c'est au tour du Merlo d'entrer en lice. Le gros scarabée vert approche de l'arrière train du gros rouge pour le lever peu à peu, à plusieurs reprises et l'avance un peu plus près du chemin pour l'embarquement. Alors, Eric dételle la remorque ACTM et vient placer le poly benne devant le museau du Diesel de Rock Island.
Il est bien cabré ce plateau s'exclame Francis!
Aïe, je me suis “pillé” dans les commandes, je vais le remettre à plat et recommencer. Le bras de la Guima doit se plier en deux. Voilà qui va mieux au deuxième essai. L'instant est solennel. Tirées par le mat télescopique du Merlo, les énormes roues arrières montent sur le plateau. Les pneus dépassent un peu de chaque côté, c'est du hors gabarit (chut...) de très peu. Ce détail n'était pas passé inaperçu mais tenter de resserrer les roues aurait été un quitte ou double.
La Kubota pousse un peu de l'avant, godet contre porte masse. Le tracteur renâcle un peu, histoire de monter que la facilité est parfois trop fade, les roues avant bloquent un peu à l'entrée du plateau plus haut que le sol. Des cales pourvoiront à l'obstacle. Eric, pas à pas, grâce au mat recule l'International jusqu'au fond du caisson, l'équipage étant aux roues pour que l'attelage soit bien aligné et dans une posture imparable. La hauteur hors tout est même mesurée au cas ou un ouvrage d'art qui aurait l'audace d'être trop bas se trouverait sur la route des baroudeurs. Eric en grand expert des circuits routiers certifie que tout va bien.
Arrimage.
Ah, un dernier détail, la barre plate risque de venir buter contre la ridelle et les roues ne seraient pas en appui. Baptiste, d'une reptation souple, se glisse sous le gigantesque pont et défait le gros écrou grâce aux clés amenées avec célérité par André, pendant que Marcel et Cyrrhus la tirent en arrière. Diable, il y a des lustres qu'elle n'avait pas bougé, mais enfin devant tant d'insistance, elle se déboîte. Une dernière poussée et voilà le Farmall calé. Un jeu de chaînes bien tendues au pont avant et un second qui prend les splendides voiles à l'arrière l'empêchent de bouger d'un seul once. De plus une sangle emmaillote les gros pneus arrières qui sous les tractions de l'acier et du textile s'affaissent un tant soit peu. Le tout est solidement arrimé. Le cargo ne risque guère la tempête, en principe.
-me voilà presque prisonnier à nouveau, semble penser le tracteur, mais je sais bien que ce n'est que pour mieux assurer mon évasion.
Manœuvres pour appareiller.
Le Volvo monte son gros fardeau sur ses épaules, Eric engage les crochets de verrouillage, attelle la remorque puis le Merlo est rechargé. Patins posés, mat rentré et baissé, il fait aussi l'objet d'un enchaînement dans les règles de l'art. Ce n'est pas pour autant que les petits lutins sont déchaînés! Mieux, leurs gestes précis s'enchaînent avec grâce! Le chauffeur expérimenté pense reculer son magnifique attelage dans le chemin à l'entrée de la forêt mais, lui indique Francis, il vaut mieux que tu recules sur le terre plein, la place est grande.
Oui mais j'ai peur que ce soit mou. Pas faux, surtout qu'avec la forte pluviométrie de mai(121mm), la terre est gorgée et que Cyrrhus croyant bien faire le fait trop serrer vers la bordure. Nom de nom, c'est effectivement très mou, vite sortir de là et revenir sur le dur. Il ne s'agirait pas de renverser du “rouge ou du vert”. Voilà qui est fait, le paquebot est maintenant sur la terre ferme vers le départ. Ces légères stigmates des pneus dans le sol spongieux , effaçables avec le temps, ne sont elles pas après tout le témoignage d'une opération inédite?
Durant toutes ces étapes, Damien le photographe attitré n'a eu de cesse de faire des clichés; vues d'ensemble des attelages, du rescapé, gros plans du moteur et des roues.
Michel avec ses fistons a dressé une petite table et après ces moments vibrants, l'équipage prend une petite collation dans une ambiance fort conviviale, toute empreinte de multiples plaisanteries, les temps forts de l'émotion s'estompant peu à peu.
Parés à appareiller!
Il est 22h 10, tout est rangé, l'organisation du retour se met en place. André prend les devants, Marcel en éclaireur est en deuxième position, le paquebot tous fanaux allumés suit avec à son bord baptiste et Benjamin (pas peu fier). La Goélette de la William Deering est juste derrière, puis l'Iveco et enfin Michel. Jusqu' à Mauvezin, la route est très étroite. Eric mène de main de maître avec une prudence de loup d'autant plus qu'en venant un automobiliste peu expérimenté et égoïste l'a fait serrer. Le bas côté de la chaussée pourtant soigneusement confectionné par les services de l'état a failli s'affaisser. A Merigon, dernière halte, encore une photo, Benjamin rejoint la Goélette, les mains se serrent et chacun reprend sa route.
Un peu avant Saint-Croix deux semi visiblement égarés (sans doute un guidage au GPS imprécis!)arrivent en sens inverse.
Marcel invite les chauffeurs à se garer.
Pouvez vous vous serrer quelques instants les gars, il y en a un de l'extrême qui arrive?
Était il passé inaperçu ce convoi exceptionnel arrivé à minuit à Peyssies? Probablement pas car il convenait pour un raid d'une telle envergure d'entretenir un certain mystère, voire un certain flou...Il lui avait été bien demandé à l'émissaire de la Tracpaco;
-C'est y donc vrai qu'il y a un gros tracteur qui va être enlevé dans le Volvestre?
-oh, je n'en ai point entendu parler.
-diable, tu dois bien être au courant, si tu ne l'es pas toi, qui pourrait bien l'être, coquin va!
Toutefois toute déclaration prématurée aurait pu être de la forfanterie alors l'histoire ne pouvait être auréolée de prestige que si elle s'achevait bien.
Armateurs, chargeurs, convoyeurs intrépides, les belles mécaniques un temps abandonnées peuvent sortir de l'oubli et scintiller de leurs mille feux!
Plus de quatre heures avait duré ce grand renflouement (qui n'était certes pas celui d'une épave, oh non). Déjà au moment du départ, Michel disait qu'il voulait regarder le moteur dans les jours à venir.
-ah non lui rétorquait Baptiste, il faut le laisser tel quel pour Longages.
-laisse moi au moins lever le capot pour sortir les injecteurs et les laisser tremper.
Bon finalement ce compromis semblait acquis.
Alors grand Farmall, te voilà rassuré maintenant, fier et heureux d'être adopté par une noble écurie?
Il se dit que tu as été cloné à peu d'exemplaires, c'est vrai?
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*NB. les marques de véhicules citées dans le texte évoquent bien des pages d'histoire et ne sont pas sans rappeler les passerelles entre le monde du transport routier et le machinisme agricole.