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12 décembre 2013 4 12 /12 /décembre /2013 22:20

Février 1970.

Cyrrhus doit aller chercher la voiture que lui ont donnée ses grands-parents à Vougy dans la Loire. Ce sera sa première automobile. Il s’agit d’une Dauphine 3 vitesses. Elle n’est pas neuve mais elle rendra bien service. Pour ce faire, quoi de mieux que de trouver un camion pour “monter” à Saint-Etienne où à Roanne ?

Allons voir Jeannot Méric.

-bonjour Jeannot, je dois monter à Roanne pour ramener une voiture. Vous n’avez pas un camion qui monte dans les parages, par hasard ?

-tu tombes bien, Sempé monte mardi avec un voyage de papier pour St-Etienne. Si ça te vas, tu embarques avec lui.

-ah, c’est parfait. Il s’agit là d’un chauffeur haut de gamme avec l’Henschel  813 CR 09 !

Mardi après midi, rendez vous au parking du garage Méric. Avec Samuel (Sempé), le courant passe vite. Cyrrhus le connaissait de vue pour l’avoir souvent repéré dans les parages de l’usine où dans les environs de Saint-Girons et réciproquement Samuel l’avait aussi aperçu. Samuel paraissait très sévère de physionomie mais il adorait rire.

Vers le milieu de l’après midi le splendide paquebot, sort majestueusement de l’esplanade et prend la N 117 en direction de Foix. Jeannot assiste au départ.

 

St-Girons Foix, 44 km, était une nationale (Bayonne Perpignan) très tourmentée. Il fallait plus d’une heure pour rejoindre le chef-lieu du département.

-alors tu vas à Roanne ? Comme je ne vais pas plus loin que Saint-Etienne, je te trouverai un autre camion qui remonte sur Nevers ou Paris. Il n’y aura pas de problème.

L’Henschel, c’est le F 191. Il remorque sa belle semi savoyarde deux essieux. Le tracteur est gris en deux tons. Chez Jeannot, c’est le rouge, chez Francis gris bleu et chez Emile, gris vert. Le châssis et les poteaux de la remorque sont en bleu marine. Il y avait d’autres écuries en gris comme Escudé à Grenoble où Mazet et de loin il arrivait de douter : est-ce un des nôtres ?

Samuel est un habitué de la longue distance. Il avait commencé sa carrière dans une entreprise du Mas d’Azil puis Jeannot l’avait recruté. Au début il avait commencé avec le long museau 605 BG 09. C’était un camion vaillant et solide, mais lent, bruyant et aussi très beau. Quel plus beau cadeau pour lui que d’étrenner un F 191 neuf. Deux cent cinquante chevaux, boîte ZF deux fois six avec relais électrique, frein sur échappement, cabine basculante, assez bien insonorisée et avec deux couchettes, direction et embrayage assistés, moteur nerveux 6 cylindres à trois soupapes/cylindre, il avait tout pour plaire et faire piaffer le concurrence. Une fois la boîte bien en main, il était assez agréable à conduire.

Pour avaler côtes et virages, Samuel change les vitesses à un train d’enfer, sans jamais les faire craquer, à tel point que Cyrrus se demandait si c’était de la magie ou de la conduite. Le tracteur dans cette mer démontée secoue énormément. Les cabines suspendues seront pour un peu plus tard.

En soirée, arrêt buffet à la Vitarelle. C’est un point de rencontre fantastique. Tous les poids lourds au long cours s’arrêtent là.

Samuel annonce le programme ; cette nuit, il faut avancer pour poser demain matin à Saint-Etienne pour que je recharge demain après midi pour la Moulasse (Job à Saint-Girons). Normalement il n’y a pas de problème. Quelle joie de remonter dans le tracteur gris qui attendait sagement, tous feux de position allumés, clé sur le contact ! Quelle époque !

Le premier péage de la première portion d’autoroute est celui de Mirevals. Au moment de repartir, devant la guitoune du guichetier, Samuel s’écrie : b….. , je n’ai plus d’embrayage ! Il arrête le moteur, enclenche la première, donne un coup de démarreur, l’engin bondit et Samuel le gare un peu plus loin. Les deux équipiers descendent et vont inspecter sous la cabine.

ah, je vois, le piston d’assistance de l’embrayage pendouille. Nous avons perdu les fixations. Voyons, tu veux aller voir au péage, peut-être qu’avec un peu de chances quelques pièces s’y trouvent.

Oh, miracle, Cyrrhus trouve écrou, boulon, joint.

-extraordinaire, j’en ai plus qu’il n’en faut ! Il y a juste un boulon à resserrer sur le carter, un coup de pince universelle (pas d’autres clés à bord) et c’est reparti.

Samuel est un fin pilote. La progéniture de Kassel lui obéit magistralement. Le bandeau lumineux et les cadrans lui donnent une allure de grand navire. En petite vitesse un voyant vert s’allume. L’intensité est assez forte. Certains chauffeurs par crainte d’éblouissement, y collaient un bout de sparadrap ! Sur l’autoroute, ça file. Ce soir c’est du direct ; pas de passage par Rémoulins comme souvent après Nîmes-est pour rattraper la mythique N7 par Pont-Saint-Esprit.

Une petite nuit sur l’aire de Saint-Rambert d’Albon permet à l’équipage de se reposer. A St-Etienne, il faudra certainement donner un coup de main pour décharger les lourdes bobines de papier d’emballage frictionné. C’était un standard, les chauffeurs avaient droit à toutes les corvées.

A Rive de Gier, bifurcation vers le chef lieu de la Loire et passage de l’épouvantable N 89. Tortueuse, cahoteuse et relativement étroite était cette diable de nationale. L’Henschel se cabre, saute, bondit, tressaute, rugit. Samuel serre volant et dents. Quel sport ! Les ressorts sont mis à rude épreuve. Cyrrhus se demande si le camion ne va pas arracher quelque morceau de falaise en surplomb. Enfin St-Chamond et Saint-Etienne sont en vue. Où faut-il aller ? Croyant se souvenir de la rue à atteindre, Samuel s’engage dans la ville. C’est de plus en plus étroit, son visage se rembrunit et s’arrêtant devant un magasin dit à Cyrrhus,

-voyons demande pour aller chez Brunon.

-non, ce n’est pas ici, il faut aller à Andrézieux Bouthéon.

-ah p….. , j’aurais du m’en souvenir, l’adresse est mal inscrite sur le bon de livraison. L’horizon s’éclaircit. En plus Andrézieux, c’est sur la route de Roanne .Arrivée chez le client Brunon après un demi tour magistral qui laissait Cyrrhus pantois en voyant les essieux ripper pour se mettre en place pour le déchargement. Effectivement, il faut prêter main forte.

Arrive l’heure de casser la croûte.

-regarde, nous allons nous arrêter au grand relais à l’entrée de Saint-Etienne et là je vais te trouver un autre camion pour Roanne. Pendant le repas, il demande à un grand et sympathique gaillard en face de lui ;

-tu ne montes pas vers Roanne, par hasard ?

-que si, je vais à Paris. Je suis d’Interflora, je fais Nice Paris.

-tu peux prendre mon ami, il va chercher une voiture dans sa famille ?

-pas de problème.

 Allez Samuel, merci beaucoup, je passerai vous voir au garage quand je serai rentré.

Changement de marque.

Maintenant, c’est sur du Berliet que le dernier trajet s’effectue. C’est un 19t frigo très élégant. Le camion très confortable file. Le moteur est un peu plus bruyant et donne l’impression de bruit de grosse soufflerie. Chaque diesel a son signe distinctif, n’est-ce pas ?

Après les adieux à ce sympathique chauffeur, les derniers 4 Km de Roanne à Vougy sont faits en stop.

A Vougy, après des retrouvailles chaleureuses, la famille s’exclame ;

-mais alors Cyrrhus, ils doivent en faire une tête à la SNCF maintenant que tu ne te déplace plus qu’en camion !

-oh mais je reste quand même dans les Pullman sur pneus !

Le lendemain, départ avec la Dauphine 690 KS 42. La petite berline n’est plus jeune, il faudra donc ménager la monture. A Neulise, premier avatar, le moteur s’emballe et l’accélérateur reste figé. Ce n’est que le câble, mais l’agent Renault local n’en a pas en stock. Il faut en faire venir un de Roanne. La deuxième départ n’aura lieu que l’après midi. La voiture est menée avec prudence. Parallélisme et freinage ne sont pas au top. La vitesse ne dépassera pas les 70 km. Dans la nuit, vers Rémoulins, alerte à bâbord ; le voyant de la température s’allume. Durite supérieure percée. Heureusement le moteur n’est pas trop chaud. Il faut absolument se dépanner. Tiens un bistrot ouvert ; demandons donc de l’eau et un plastique pour faire un bandage. Le cataplasme tiendra jusqu’ à Saint-Girons en rajoutant de l’eau de temps en temps !

Vers Fanjeaux un énorme cargo Saviem JM des transports Rives est rejoint puis prudemment dépassé. Le chauffeur doit bien se demander d’où débarque cet engin immatriculé dans la Loire alors qu’il entend un petit coup de klaxon amical. Encore un peu plus d’une heure et le périple se termine. La valeureuse Dauphine rendra de bons services presque trois ans après été avoir repeinte en bleu Gordini et avoir connu un changement de moteur. Elle était immatriculée 603 DB 09.

La Dauphine. Deuxième véhicule phare de la régie après la guerre puisque vendue à plus de deux millions d’exemplaires, la première Dauphine était à trois vitesses. L’Ondine en aura quatre. La version Gordini aura aussi son heure de gloire. Elle faisait partie des voitures à moteur arrière avec la 4 CV, la R8 et la R10, la Simca 1000 et son  coupé, la coccinelle, le coupé VW, la Matra Baghera Simca et une Trabant 6 cylindres ainsi que les Porsche. Elle connaîtra un échec commercial aux USA alors que la 4 chevaux avait été très appréciée là bas.

Les Henschel. Où se rencontraient-ils dans ces folles années ?

Les Meric à Saint-Girons, Innocent à Lorp-Sentaraille, Escudé à Grenoble, Mazet en Ardèche, la STAR  à Chatellerault, La PAT à Bordeaux, Limouzy puis Mazinter à Graulhet, Batut à Capendu et bien d’autres encore.

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Dauphine Renault et maxi code Henschel F 191.
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